Wednesday, July 10, 2019

Elections en Grèce : quand un député s'en prend à «Libération»

Par Maria Malagardis 
Le parlementaire grec élu dimanche, Babis Papadimitriou, s'est emporté contre «Libération», après la publication d'un article sur le nouveau Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis.
«Est-ce que tu m’autorises à insulter un peu les Européens, ou tu préfères passer d’abord une page de pub ?» interroge soudain Babis Papadimitriou en s’adressant au journaliste Aris Portosalte. Ce mardi, les deux hommes se retrouvent face à face dans l’émission que Portosalte anime chaque jour sur Skaï Fm, l’une des principales stations de radio privées grecques. Tous deux se connaissent bien. Depuis tant d’années, les deux chroniqueurs se croisent sur les plateaux télés ou dans les studios radios du groupe de médias Skaï, propriété de l’homme d’affaires Giannis Alafouzos. Depuis longtemps également, mais surtout depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2015, Skaï s’est déchaîné sans faux-semblants contre Syriza, le parti d’Alexis Tsipras. Lequel a perdu dimanche les élections face au parti conservateur Nouvelle Démocratie.


A cette occasion Libération a publié un portrait du vainqueur des urnes, Kyriákos Mitsotákis, rappelant qu’il est parfois surnommé par ses adversaires «Koulis», diminutif un peu infantilisant qui équivaut à «petit Kyriákos». L’allusion à ce surnom dans le titre du papier de Libération a mis visiblement en rogne Papadimitriou. En guise d’insulte aux «Européens», c’est d’ailleurs la presse, et singulièrement Libération qui se retrouve visé par l’incroyable diatribe de Babis Papadimitriou. Sans éviter les outrances, ni même les erreurs les plus factuelles. Croyant bon de signaler tout de suite que Libération appartient à «une grande famille, de la branche des Rothschild» – ce qui, au passage, n’est plus le cas depuis 2014, mais il faut croire que cette «fake news» a un sens subliminal dans la bouche de celui qui la profère – Papadimitriou s’en prend à «une plèbe journalistique», englobant Libération, croit-on comprendre, mais aussi un certain nombre d’autres journaux européens non cités. Lesquels selon lui, «léchaient les pieds des membres de Syriza dans les bureaux enfumés au haschisch» de l’ex-Premier ministre Alexis Tsipras, et «écrivaient par la suite tout ce que leur dictaient leurs cerveaux embrumés de shit».

S’ensuit une nouvelle allusion aux «banquiers» qui détiendraient Libération et qui à l’entendre, «auraient gagné de l’argent» sur le dos des Grecs. L’attaque est tellement caricaturale ou ridicule qu’elle pourrait faire rire. Economiste de formation, Babis Papadimitriou n’a jamais eu peur des déclarations tonitruantes, même inexactes, qui ont fait sa réputation. En septembre 2013, il avait d’ailleurs provoqué un tollé en conseillant à Nouvelle Démocratie de s’allier à Aube Dorée, à condition que le parti néo-nazi devienne «plus sérieux». Sauf que désormais Babis Papadimitriou n’est plus dans la position du chroniqueur. Il a choisi d’entrer en politique, officiellement cette fois, et c’est en tant que nouveau député élu dimanche dans les rangs de Nouvelle Démocratie qu’il s’est exprimé mardi.

Ses propos sur Libération ou les médias étrangers, engagent donc le parti conservateur désormais au pouvoir. Pendant toute la campagne, Kyriákos Mitsotákis avait pourtant tenté d’en changer l’image, d’incarner le renouveau moderne de ce parti de droite fondé en 1974, qui a déjà gouverné plusieurs fois le pays. Les propos de l’un de ses députés, 48 heures seulement après le scrutin, ont donc de quoi inquiéter. D’autant qu’on apprenait au même moment que la chaîne publique ERT serait désormais placée sous la tutelle directe du Premier ministre. Seul aspect rassurant : l’important mouvement de soutien reçu directement à Libération ou via les réseaux sociaux, montre combien les propos de Papadimitriou ont créé le scandale. Espérons que le chef du gouvernement saura en prendre la mesure.

Maria Malagardis

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